Tristes temps

Ndlr: Les commentaires sur ce billet, de même que sur les autres billets, se ferment deux jours après la première publication. Nous vous remercions d’avoir consulté Profs au carré, en espérant que la réflexion sur les enjeux sociaux de l’éducation se poursuive en de multiples lieux!

Hier, il y a eu cette étudiante qui est venue me demander un jour de délai pour la remise d’un rapport de stage, (activité non affectée par la grève). Je lui ai demandé de passer pour en comprendre la raison (je crois encore à la justice malgré tout ça). Elle est venue à mon bureau, petite mademoiselle, au pas décidé avec des boucles d’oreilles couleur pourpre. Elle est restée debout, elle ne s’est assise que quand je l’ai invitée à le faire. Bien élevée. On s’est parlé, elle m’a dit:

… Tu sais Éric je pourrais le remettre à temps le travail, mais ce ne sera pas peaufiné. J’aimerais juste un jour de plus. Si tu ne veux pas je comprendrais. Pas habituée à ce genre de démarche, travailleuse modèle, sérieuse, impliquée, une perle d’étudiante. Le genre que je prendrais en maîtrise dans mon équipe demain matin.

… Tu sais, je suis à la manif chaque jour, chaque soir. Le désarroi et la colère montaient en elle.  J’ai dit pas de problème, que je comprenais. Je lui ai demandé comment ça allait. Elle s’est mise à déverser sa rage…

… Tu sais Éric, je ne suis pas touchée par la hausse. Mes parents paient mes frais de scolarité et continueront quoi qu’il advienne. Ils votent conservateur et ne me comprennent pas. Vient d’une bonne famille, d’un milieu aisé et tranquille. J’y vais pour tous les autres, mes collègues, mes amis et les autres les étudiants d’aujourd’hui et de demain, pour la société, ses valeurs, ce que nous valons tous collectivement…. Articulée, altruiste.

… Tu sais: en temps normal, je suis quelqu’un de pacifique, de calme, tranquille, travailleur. Je sais, moyenne impeccable, membre du comité de programme. Mais là, je suis enragée, ça devient de la folie là-bas, les policiers deviennent de plus en plus agressifs. Ils tirent des grenades sans préavis, pourchassent des manifestants pacifiques pour leur donner des coups de matraque sans aucune justification. Je suis fâchée! Ils ont arrêté un organisateur de la faculté, il ne peut plus même s’approcher de l’université. En colère et quelle colère, chez quelqu’un de si tranquille! Je ne pensais pas ça possible, pas ici. Estomaquée que dans ce pays libre et développé, on en arrive à tels extrêmes.

… Tu sais Éric, j’ai des amis dans la police. Ils m’ont expliqué comment se fait le recrutement pour aller dans la rue face aux étudiants. Ils affichent des listes dans les postes et ceux qui veulent s’inscrire y vont sur une base volontaire. En moins d’une heure la liste est pleine… Déplorable. Choquée, à juste titre. Et moi? Hein? Ça veut dire que beaucoup de policiers choisissent volontairement d’aller taper sur les étudiants. Payé temps supplémentaire avec ça?

… Tu sais Éric, j’aimerais revenir en classe. Je suis fatiguée de me faire poivrer tous les jours. On arrête nos leaders. … Je suis exténuée. J’ai pris deux coups de matraque dans les côtes… Moment de faiblesse, une demi-seconde. Découragée de nos dirigeants. Quel état, quel gouvernement peut amener des étudiantes modèles à des extrémités?

… Mais tu sais Éric, je ne cèderai pas, nous ne cèderons pas. Nous n’avons plus rien à perdre. Ce gouvernement injuste ne nous aura pas. On va se battre jusqu’au bout… Une détermination à toute épreuve. Une valeur sure pour l’avenir de ce monde. Une lueur d’espoir dans ce conflit de m…

J’ai dit : Sûr que tu l’as la prolongation, cette activité n’est rien en regard du combat que vous livrez. Le genre d’échange qui me fait garder foi dans les étudiants et dans mon métier de prof.

…….

Et puis il y a eu ces hommes, ces hommes à la TV, le soir même. Représentants des forces policières qui parlaient, bien à l’aise dans leur costume ajusté. Sûrs de leur propos et de leur droit, ils disaient… les étudiants sont devenus des professionnels des manifestations, ils aiment ça. Ils viennent pour casser, ils y ont pris goût… Le journaliste surpris «Vous êtes sur de ça?»… Ah oui c’est clair ils y ont pris goût…

Je me suis dit en moi-même… Tristes temps…

Éric Lucas, prof au carré

37 commentaires

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37 réponses à “Tristes temps

  1. Stéphane Royer

    Merci de cette belle leçon d’humilité !! Lâchez surtout pas, ne pliez pas contre cette gang de corrompus !

  2. Merci de ce témoignage. Une étudiante de 56 ans en grève, elle aussi.

    • Éric Lucas

      Vous êtes la preuve que le mouvement étudiant n’a rien d’un « accès de colère de quelques jeunes immatures ». Merci à vous.

  3. diong

    Je n’arrive pas à croire tout ce dont je suis témoin, ces dernières semaines. Cette résistance, cette persévérance, cette conscience collective, ce nous qui ressurgit, qui transcende les classes sociales et les générations, ce coup de jeune. Merci.

    • Éric Lucas

      Merci pour vos encouragements. La maturité des étudiants m’impressionne, à la fois dans leurs leaders et collectivement.
      Effectivement, Cette levée de bouclier est porteuse de grands espoirs. je m’explique mal pourquoi une majorité de la population a pris fait et cause pour le gouvernement. J’espère qu’elle dépassera le cadre de cette grève.

  4. Huguette

    Vous nous prouvez que la bonté humaine existe encore! Félicitations à vous et votre élève..

  5. Nancy Blouin

    J’ai les larmes aux yeux. Tellement fâchant ce qui se passe.

    Nancy, enseignante et étudiante et mère d’un petit pou pour lequel j’ai des convictions !

    • Éric Lucas

      Merci beaucoup pour votre commentaire. C’est très touchant.
      Je crois que ce qui se passe dépasse largement le cadre des étudiants, et concerne tous les parents, et même au delà tous ceux qui ont une réflexion collective (en fait tout le monde devrait en avoir). Bonne chance avec votre enfant.

  6. Michel Payette, professeur, Cégep de Jonquière

    Nos étudiants se tiennent debout et ils se font matraquer. Nous sommes tous complices par nos silences et notre passivité. C’est triste.

    • Éric Lucas

      Entièrement d’accord avec vous. Il faut je crois en faire une discussion de société sur toutes les tribunes, et aussi je crois demander une meilleure couverture journalistique du conflit. Jusqu’à présent nos étudiants sont admirables. Merci du commentaire.

  7. Denis Blaquière

    Nos enfants sont des battants. Dommage que beaucoup de policiers le soient aussi, mais au sens littéral.

    • Éric Lucas

      On peut avoir confiance dans nos étudiants. Ils ne cèderont pas aux coups de matraque. Merci de votre commentaire.

  8. ED

    Ne lâchez pas, la population qui pense, est derrière vous. Merci.

  9. Marielle Bourret

    Qu’il est beau de voir nos jeunes se tenir debout !!! Belle leçon pour nous tous .

  10. Je ne vais pas dans les manifs, comme beaucoup d’autres, je n’en suis pas moins derrière vous… en fait non, je suis plutôt sur vos épaules, près de vos oreilles pour vous dire de continuer, de ne pas lâcher, que c’est vous qui avez raison et non ces sondages « achetés et payés par les intéressés ». On tente de nous faire croire que vous êtes une minorité, des enfants gâtés, des casseurs aguerris alors que vous y êtes les défenseurs du bien commun.
    Tendez l’oreille, je vous le demande de continuer d’y croire et de le défendre. Et je vous dit M E R C I .

    • Éric Lucas

      Les étudiants sont la force vive de notre société. Ce sont eux qui vont structurer notre société de demain. On doit les supporter.
      Merci de votre commentaire. Continuez de votre côté à encourager les étudiants.

    • Éric Lucas

      Merci beaucoup pour le support. Les étudiants en ont besoin et ils le méritent.

  11. Mylaine

    Bonjour Éric,
    Moi qui a maintenant terminé l’Université, après un bacc en bio à l’UQÀM et une maitrise en enseignement à l’Université de Sherbrooke, et maintenant très endettée, cette mobilisation sociale (non pas simplement étudiante) me donne espoir. Je suis triste que plusieurs croient toujours qu’il s’agit d’une cause sans fondements et que nos bébés gâtés devraient retourner en classe. Moi, j’enseigne à des adolescents. Ils ne sont pas tous conscients de ce qu’il se passe en ce moment. Mais beaucoup affiche fièrement leur carré rouge. Alors toute cette histoire aura ça de bon: même les plus jeunes, ceux que l’on juge et croit robotisés, désengagés, sont plusieurs à se conscientiser précocement face à la politique. Il faut se battre encore pour ces derniers, pour qu’ils gardent espoir en notre société.

    Mylaine
    Une de tes anciennes élèves

    • Éric Lucas

      Merci beaucoup pour le commentaire Mylène. Je n’avais aucune idée que quelqu’un commenterait même ce texte…. Content d’avoir indirectement de tes nouvelles.Je connaissais ton dévouement à l’enseignement. je partage complètement ton point de vue.
      Je crois que l’avenir est dans les étudiants et que ce conflit aura eu le mérite de les conscientiser profondément aux enjeux sociaux du moment et à leur capacité collective d’agir pour influencer les décisions prises dans les sphères gouvernementales. Je crois qu’on a tous un rôle à jouer dans nos classes, dans nos salons, au brunch de Pâques, avec nos voisins de palier. Merci beaucoup Mylaine.

  12. Darsana

    les dettes font de nous des esclaves. c’est comme un boulet et une chaine a nos pieds. ça nous oblige a travailler pour eux.

    ils nous payent, et on leur redonne l’argent immédiatement. (dette, loyer, hypoteque, etc…)

    c’est vraiment la même chose qu’être un esclave logé-nourri. sauf qu’il y a un genre d’illusion de liberté qui circule, qui nous donne une prétention, une arrogance.

    il faut se rendre a l’évidence… cette révolte est une révolution des esclaves.

  13. Réjean Beauregard

    Au delà du refus de négocier dela part du gouvernement ..on sent le désir de camoufler…
    corruption…
    collusion…
    plan nord…
    Taper…refuser…accuser…
    Belle façon de gouverner…oser parler de démocratie…
    Faut le faire…
    Le défaire…
    le débarquer…Beauchamps Charest…au panier…et surtout ne pas lâcher

    • Éric Lucas

      J’ignore quelle est la stratégie gouvernementale. Je trouve simplement que leur attitude dans la gestion de ce conflit est indigne de gens devant théoriquement donner l’exemple. Merci d’avoir commenter.

  14. f-m Dumoulin

    magnifique jeunesse….Je suis arrivée de France en 1977, avec un doctorat, 0$ de dette car scolarité presque gratuite suite à nos héros de la résistance qui ont permis l’accès à l’éducation pour tous… Je suis fière de la jeunesse québécoise. J’ai honte de ce gouvernement de crapules. Je dis aux jeunes aux prochaines élections allons tous voter!

  15. Jean St-Onge

    C’est triste mais ce printemps je l’attendais depuis bien longtemps-il y une révolte qui gronde-comme un rêve de solutions-Révolution-Je suis prof au primaire et je suis fier de cette jeunesse et de cette vieillesse qui les appuie.
    Les raisons, les moyens et les solutions sont justes-allons chercher chez ceux qui font des sous avec nos ressources le fric pour permettre aux enfants du peuple de se surpasser et d’aller vers l’avenir !

    • Éric Lucas

      J’ai foi dans la cause des étudiants. Ma seule crainte serait que le mouvement s’effondre sans avoir d’acquis significatif. On vivrait alors possiblement une « dépression collective ».
      Merci pour votre apppui.

  16. Unétudiantenrévolteintérieure

    M.St-Onge, cette vieillesse qui nous appuie à le coeur jeune, très jeune. Nous sommes toujours heureux de voir que le Québec se relève petit à petit de ses cendres. Qu’enfin, nous affichons notre fierté d’être québécoisEs.

    Nous voulons démontrer que bien que le monde soit tellement habitué au mal que le bien ne doit pas les choquer lorsqu’il s’offre à eux. Nous n’avons pas un gramme de méchanceté en nous. Juste quelques rêves à faire partager. Quelques idéaux de justice à réaliser que nous tentons de préserver de la haine qui détruit les rêves et qui place en quarantaine les idéaux.

    Chaque fois que j’entends quelqu’un me taxer d’être un enfant roi mon coeur saigne, je pleurs parce que se battre pour ces idéaux c’est tout sauf être un égoïste.

    Sachant qu’un enfant- roi ne connait pas la solidarité. Un enfant roi se fout royalement de la communauté, de la collectivité. Un enfant- roi ne marche pas dans la rue avec des milliers d’autres autres au nom d’un intérêt commun car un enfant- roi ne comprend rien à l’idée de se faire poivrer et matraquer pour un principe qui s’appelle la justice sociale et dont il ne peut tirer aucun profit personnel. Un enfant roi est content de voir ses camarades se faire frapper jusqu’au sang car il est lui-même une petite brute égoïste et égocentrique qui aime prendre plaisir à contrecarrer et ridiculiser quiconque ose, parmi eux, faire gonfler une idée plus grosse que son égo, aussi juste soit-elle. Un enfant-roi reste confortablement chez lui pour comptabiliser son propre avenir pendant que ces camarades rêvent à un meilleur avenir pour tout le monde, dehors, sous la pluie et les coups. Pendant que ses camarades se font rentrer dans la gorge, à grands coups de bâton, leur droit à eux de faire leur devoir de citoyen et de dénoncer l’inacceptable.

    Me faire taxer d’être un enfant roi me tue à petit feu, me démoralise et me blesse mais, ne détruit point la graine de résistant qui a grandi et qui continu de grandir en moi de jour en jour! Malgré le mépris, l’indifférence, les ge-guerres sur la sémantique des concepts, le poivre, les gaz, les douloureux coups de matraque, je persiste à croire que j’ai fait le bon choix.

    Merci à vous tous, le Québec à besoin de tous ces citoyens(nes) pour devenir meilleur et plus juste

    Pascal-Marx Savard

    • Éric Lucas

      Je crois effectivement qu’on a un grand besoin de justice sociale. Je me réjouis de voir qu’ici les étudiants sont chaque jour dans la rue pour défendre leurs droits; alors qu’ailleurs, en Alberta par exemple, des gens votent conservateur pour éviter un vote plus à droite encore. Merci Pascal pour ce coup de gueule. Lâche-pas.

  17. sonja

    explication claire, nette et precise : http://youtu.be/2-FGu-iFqT0

  18. Eric

    oui bein moi justement, je suis étudiant et je peux vous dire qu’en j’en connaît AUCUN des comme ça…. si facile de faire pleurer dans les chaumières, de blâmer la méchante Police et de se faire croire qu’on participe au grand changement, nous pauvres victimes Québecoises! Les vraies victimes de toute cette grève sont les étudiants les plus pauvres actuellement aux études! Les autres manifestent pleins de bons sentiments en scandant la solidarité, je ne conteste aucunement leurs intentions. Mais n’oubliez pas ceux qui sont en appartements, les élèves plus âgés qui ont décidé de reprendre des études….tous ces gens bloqués avec leurs temps partiels pendant que leur session s’annule petit à petit. Ce sont ces étudiants là les carrés verts, ceux qui sont VRAIMENT obligés d’aller aux cours…vous êtes en train de changer le cours de leur vie, sous le prétexte de votre solidarité. Oui merci à vous les rouges, les syndicalistes, les sois disant défenseurs du bien commun, vous nous mettez tous dans la merde…alors excusez nous, de temps en temps, vous percevoir comme des (gentils quand même) enfants rois!

  19. Patricia Posadas

    Je suis professeure. Je suis profondément touchée par votre témoignage. Je voudrais pouvoir faire plus pour ces admirables jeuens gens. Ils sont notre espoir. Grâce à eux, nous avons l’impression de nous remettre à vivre, parce que nous nous sommes remis à rêver à la justice, à l’équité, au partage, à l’écoute, au vivre ensemble!